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Un article de Spartakus FreeMann
Pour aller plus loin KAosphOruS WebZine Chaote

Suivi d’une table ronde de BAGLIS.TV

Soror DS : « Chéri, il y a trop d’adjectifs. »

Spartakus : « Il faut des adjectifs, bébé, c’est de la chaos ».

On m’a proposé d’écrire un papier sur un sujet qui me tient à cœur. J’avais le choix entre une biographie de Boutin ou une présentation de la Chaos Magic…

 

Donc : il était une fois, un papa et une maman qui, ayant bien secoué la couette, apprirent l’heureux événement qui les attendait – heureusement avant Twitter ! – … Et… Attendez, non, finalement.

Il était une fois, il y a bien longtemps – avant Facebook, c’est dire – et dans une contrée étrange, des mecs, tous passés par divers ordres très mystérieux – et marrants – qui se retrouvèrent réunis autour de quelques pintes, afin de parler de leurs expériences de la magie. Chacun y allant de son ordre, de son parcours au travers de grades très compliqués, de labyrinthes lugubres pour enfin en arriver à la conclusion que la magie occidentale était bien devenue une sorte de grand Barnum inutile.
Entre les chaînes McOTO, les Golden Down et autres jeux de chaises musicales, l’horizon magique leur semblait bien terne – consensuel dans la transgression, triste dans sa hiérogamie conventuelle. On était encore à la préhistoire, dans les années soixante-dix du siècle dernier, et la fondation du pacte des Illuminés de la MorAmour – qu’on me pardonne ce barbarisme – marquera définitivement l’acte de naissance de la Chaos Magic(k). Nombreux en seront les pères putatifs : Aleister Crowley (déjà inventeur du mouvement perpétuel) ; Austin Osman Spare (le premier qui comprend ce qu’il écrit s’abstiendra de m’en faire part) ; Hakim Bey (Chaos never died) ; Jean-Philippe-Édouard de Sarcelle ; Peter « Magic » Carroll ; Moorcock ; Helena Blavatsky (si si)…

 

En fait – et il s’agit ici d’un secret sans prix –, le chaos n’a pas de père, ni même de mère. C’est un courant qui était dans l’air du temps, n’appartenant à personne, sauf – peut-être – à ceux qui le firent passer de rêve à réalité et qui, jamais, ne réclamèrent la paternité du petit tube de verre…

Une idée donc – voletante, libre, pure – qui naît dans le fond d’une pinte houblonnée ; qui se concrétise dans un mouvement énergique et atypique qui formera une décennie plus tard, ce que nous connaissons sous le terme de « Chaos Magic » ou magie du chaos. Chaos… Hou le terrible mot que voilà ! Il ne peut donc s’agir que de magie noire, sexuelle, gluante, maléficiée… Fantasme, encore ! Car, ce chaos est…

« … Un bloc brut ; le culte d’un monstre unique, inerte & spontané, plus ultraviolet que toutes les autres mythologies (telles les ombres devant Babylone) ; l’unité-de-l’être primordiale & indifférenciée qui irradie encore sereinement comme les étendards noirs des Assassins, hasardeux & perpétuellement empoisonné.

Le Chaos vient avant tout principe d’ordre & d’entropie, il n’est ni un dieu ni un asticot, ses désirs fous renferment & définissent toutes les chorégraphies possibles, tous les éthers insignifiants & les phlogistiques, ses masques sont les cristallisations de ses propres absences de visage, il est tel un nuage. » (Hakim Bey, Le Chaos).

Et ainsi, il est un rêve, une volute imaginale flottant au-delà de notre quotidien – fut-il magique. Le chaos dont parle la magie du même nom n’est pas autre chose qu’un déchaînement de rêves, une rave de l’esprit. Sans dogme, car les possédant tous ; sans but, car de l’instantané ; sans mouvement ordonné, car rituel ici et maintenant ; sans idée, car idéal. Le chaos de cette magie particulière est cette action irraisonnée et pure de ses agents qui « jettent des regards de feu sur tout & sur quiconque est capable de porter témoignage de leur condition, de leur fièvre de lux & voluptas… tout le reste n’est que décor, de l’anesthésie quotidienne, de la merde de cerveau » (Hakim Bey, Le Chaos).

Ces percepteurs du Chaos dont je parlais ressentirent quelque chose, au-delà des vapeurs de ganja et de pure ale, ils reçurent l’éclat foudroyant d’un rayon octarin qui, à jamais, allait changer leur perception de ce qu’est la magie, la psychurgie active de notre Occident. Car ce n’est pas leurs robes, leurs outils torves, leurs diplômes et leurs cordons mordorés qui font leur magie ; c’est leur esprit, leur essence même, leur âme virevoltante qui interprète, qui agit, qui teste, tente, se fraye un chemin dans une forêt de possibles. Une réessentialisation de l’instant et du naturel déréifié, une rave de la Nature, car sa musique « n’a d’existence qu’en dehors des choses. Les différentes ouvertures, pipes, flûtes, tous les êtres vivants ensemble constituent la nature. Le “Je” ne peut produire des choses & les choses ne peuvent produire le “Je”, qui est lui-même inexistant. Les choses sont ce qu’elles sont spontanément, non causées par quelque chose d’autre. Tout est naturel & ne sait pas pourquoi il est tel. » (Kuo Hsiang).

Cette époque illustre verra la naissance d’improbables bijoux – un peu comme les Twitter de Boutin – le Liber Null, le Liber Kaos, SSOTBME (cherche, petit scarabée !) et, aussi, car tout agent illuminateur entraîne à sa suite une réaction de la Matrice, l’IOT, les Illuminés de la MorAmour, une concrétion, une after-party où l’on se pose un peu avant une danse nouvelle, ou vers l’enNuit…

Suit une période pointilliste de créativité et d’exubérance ; le second âge de la Chaos Magic, l’âge des essais, des tâtonnements, mais aussi celle d’une grande explosion. Le TOPY, Grant Morrison, Phil Hine, Jan Fries, et tant d’autres – individus ou groupes – vont nous ouvrir un éventail iridescent de vortex opératifs qui marqueront le moment mythique de la créativité chaote : sauts de paradigme, octuple sentier, taqqya magique, sigilisation ancienne et rénovée, cut-ups bourroughites multimédias, des dizaines de probables réalisations pratiques, une foule d’idées – pas neuves, mais réinventées et réidéalisées – une époque psyché de la magie dégagée des structures et des dogmes passéistes. Une époque que l’on aurait voulu vivre comme un Woodstock magique.

Et comme Joplin ne survivra pas à sa fièvre vivante, tout comme les hippies se reconvertissent en agent de change – l’Empire n’est jamais mort – les chaoticiens suiveurs de cette époque finiront poupées de cire, symbole d’une faille cicatrisée dans le système.

Les années de Fin de Siècle verront encore s’insinuer quelques étincelles de la gerbe initiale, finissant – enfin – par atteindre le pays de Rabelais – ce chaote méconnu – presque moribonde et éteinte. Rémi Soussan en parlera, des traductions apparaîtront ici et là, l’idée de Chaos fera son chemin comme avatar de la « contre-culture technologique » prônée par Timothy Leary et R.A. Wilson. Elle sera incomprise, récupérée, perdue, retrouvée par ces « nouveaux occultistes (qui) reconnaissent et revendiquent le caractère fictionnel, fantaisiste de leur idée et de leur pratique ». Transformant ainsi l’occultisme en « terrain d’expérimentation de l’imagination la plus débridée ».

Personnellement, je n’ai été qu’un modeste agent du Chaos, un sous-fifre rieur et blagueur, un trickster de la lucarne. J’ai pris un train imaginal en marche, j’ai parfois trahi, parfois piraté, non pour une gloire personnelle, mais dans le but de transmettre le courant inaliénable de la Chaos Magic. Je suis la troisième génération, celle des scribes-fanfarons.

La Chaos Magic vit donc aujourd’hui, libre, avec une foule de jeunes prêts à tout tenter, invoquant Jason sous l’avatar d’Homer Simpson dans le but d’ouvrir une porte vers le domaine des Grands Anciens. Le tout dans un rire qui réchauffe tant l’âme que je me sentirais presque à les suivre.

Spartakus FreeMann, au nadir de Libertalia, 4 février 2014 e.v.

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